Catalyser ses performances en tir avec le Flow

Le Flow, ou « la zone », est décrit comme l’état mental optimal pour performer dans l’instant présent. Cet article explore les bénéfices de ce mode de fonctionnement neurologique sur les performances en tir et donne des pistes pour le rechercher.

Le paradoxe de la maîtrise des fondamentaux du tir

Presser sur une détente de pistolet, se préparer à décocher une flèche ou amorcer un swing au golf ; avec pour but d’atteindre une cible précise. Le tir est une activité inhérente à de nombreux sports et activités professionnelles.

La gestuelle de base est relativement simple. Pourtant, la performance de pointe est difficile à atteindre. Plus difficile encore : maintenir la constance de la performance sur la durée ou sous la pression.

Prenons le cas du tir au pistolet. Ses aspects techniques sont largement théorisés et connus de la plupart des tireurs. Les plus importants : travail de détente et prise en main de l’arme. Et les autres : position, visée, respiration. Les fameux « 5 fondamentaux du tir ». La base.

Le tireur enthousiaste et le professionnel investissent un temps considérable à la maîtrise de ces 5 paramètres. Ils se concentrent à les appliquer, ou du moins s’efforcent-ils de le faire.

Pourtant, malgré une connaissance théorique souvent totale de ces aspects techniques et une capacité à les mettre en pratique ou à les démontrer de manière isolée, la performance n’est souvent pas constante, ou pas à la hauteur des attentes.

La prise en main est ferme. Les poignets sont verrouillés. La détente est pressée progressivement et sans mouvement parasite. C’est du moins ce que s’efforce de faire le tireur appliqué. Trop appliqué ? Peut-être, nous y reviendrons.

Parvient-il réellement à mettre en pratique et de manière simultanée tous ces aspects techniques ? Pas sûr. Mais alors, pourquoi ? Il les connaît pourtant bien, les principes fondamentaux ! Et il s’applique à… les appliquer. Alors ? Où est-ce que ça cloche ?

Vous trouverez, je l’espère, un début de réponse dans la suite de l’article.

Le sixième fondamental

« Facile à dire ! »

Tous les tireurs sont conscients qu’il est plus simple de connaitre les fondamentaux du tir que de les appliquer avec constance et sous la pression. La raison est simple mais elle vaut la peine d’être énoncée :

Il existe un sixième fondamental !

Et mieux encore : Il existe un sixième fondamental qui, tel l’anneau unique, gouverne tous les autres.

Ce sixième fondamental, c’est le Mental.

C’est le « mental » qui vous fait arracher le dernier coup de votre série jusqu’alors parfaite.

C’est le mental toujours qui, lors d’un exercice au shoot timer, devant le regard de vos 8 collègues, vous fait pécloter votre dégainé pourtant suffisamment entraîné pour être d’habitude totalement automatisé et fluide.

C’est le mental encore qui, lors d’un drill complexe surchargeant votre espace attentionnel, vous perturbe dans vos bases et produit ainsi une performance bien en-dessous de vos capacités.

Et c’est évidemment le mental aussi qui est derrière le fameux « Effet de démonstration » tant redouté des instructeurs qui, lors de la démo d’une technique à des élèves, connaissent des difficultés pour produire une performance à la hauteur de leurs compétences d’experts.

Aussi évidente que son importance puisse paraître, le mental a été souvent ignoré ou laissé de côté. On préfère ne pas trop parler de ce que l’on comprend peu. On s’est donc principalement focalisé sur les aspects techniques, facilement mesurables et que l’on peut énoncer en termes clairs. Les 5 fondamentaux, vus et revus. Le mental ? Concentrez-vous ! Détendez-vous ! Voilà à quoi ça se résume en général. Oui merci, mais pourquoi, et surtout comment ?

Il ne faut toutefois jeter la pierre à personne. Les grandes avancées de la neuroscience qui permettent aujourd’hui de mesurer et comprendre, de manière encore imparfaite, ce qui se passe dans le cerveau, sont très récentes. Le sujet est vaste et complexe, plein de paradoxes. Pourtant, il est grand temps d’accorder une place et du temps à ce sixième fondamental, le « Mental ».

Mais c’est quoi au juste « le mental » ?

Selon la définition commune en psychologie, le mental, c’est tout ce qui est relatif à l’esprit et à l’activité intellectuelle et émotionnelle. En somme, tout ce qui se passe « dans la tête », souvent en réponse à ce qui se passe en dehors.

Le mental détermine fortement notre capacité à nous exprimer, à bouger, à agir, à apprendre ou à utiliser les compétences acquises. Il est donc évident qu’il influence de manière directe et prononcée notre capacité à performer dans une activité telle que le tir, qui nécessite précision, vitesse, agilité, identification, décisions et automatismes.

Flow et tir, le mariage parfait ?

Concentration totale, relaxée. La petite voix critique interne est muette. La pensée est comme suspendue, la conscience passive, l’égo éteint. L’attention est portée sur l’instant présent, directement connectée aux sensations internes (intéroception) et externes (extéroception), sans jugement. Oubli de soi, du regard des autres. Le tireur attend le signal sonore qui annonce le début du drill de tir complexe et sous pression de temps. Il ne pense à rien, pas même au déroulement du drill. Bip ! Avant même d’avoir pris conscience du signal sonore, l’enchaînement rendu automatique par des milliers de répétitions est initié. La main forte saisi parfaitement la poignée pistolet et libère l’arme du holster. L’arme est tirée vers le haut, basculée vers le but et poussée vers l’avant dans un mouvement fluide. À peine le pistolet a-t-il atteint sa fin de course vers l’avant que 3 coups rapides sont lâchés dans la première cible, avant même d’avoir consciemment vu le viseur sur le but. Puis tout s’enchaîne naturellement et de manière automatique, selon les instructions du drill reçues quelques minutes avant : 1 coup précis dans un petit but en haut à droite, 1 autre coup à gauche, sensation neuromusculaire mille fois enregistrée d’une culasse qui reste en arrière, changement de mag instantané, 2 coups supplémentaires dans un quatrième but. Puis le calme et l’immobilité. Pour le tireur, le temps semblait s’être ralenti.

Pour les observateurs expérimenté, l’action était très rapide, les gestes propres, les tirs précis, aucune hésitation. Parfait. Pour le débutant qui regardait, cela a paru irréel : Que s’est-il passé ? A-t-il changé de magasin ? Comment a-t-il pu faire tout cela aussi rapidement et avec précision ?

Ce tireur imaginaire était « dans la zone », en état de Flow, l’état mental optimal qui catalyse les performances dans l’instant présent et permet à notre machinerie de produire le meilleur d’elle-même. De délivrer la performance dont elle est réellement capable lorsque nous savons nous écarter de notre propre chemin et faire confiance à notre subconscient et aux acquis durement intégrés par l’entraînement intensif et répété.

Comment le Flow optimise nos performances en tir

Le rôle de la conscience et de certaines parties du cortex préfrontal est essentiel dans l’acquisition de nouvelles compétences.  Cependant, lorsqu’une compétence est maîtrisée au point de pouvoir être exécutée de manière « automatique » ou inconsciente, le fait d’y penser consciemment, d’en prendre activement le contrôle, se traduit par des mouvements imprécis, plus lents et moins fluides.

En effet, notre cerveau est capable d’initier un mouvement plusieurs centaines de millisecondes avant même que la partie consciente ne l’ait perçu. Par exemple, un sprinter « dans le Flow » peut avoir parcouru 3 mètres avant même d’être conscient que le départ a été donné. Notre subconscient « voit » les informations remontées au cerveau bien avant que nous en prenions conscience. Notre cerveau « sait » que le viseur est sur le but, grâce à l’information transmise par le nerf optique, bien avant que l’image ne soit projetée dans notre conscience.

Et encore mieux : il faut environ 50 millisecondes à notre subconscient pour détecter une erreur d’exécution. Il en faut entre 100 et 500 de plus à notre conscience pour s’en rendre compte. Votre subconscient est donc capable d’engager des micro-corrections d’exécution extrêmement rapides dès lors qu’on lui laisse la place et la confiance qu’il mérite.

Il est par ailleurs démontré qu’en réalisant consciemment un mouvement connu, nous avons tendance à mobiliser plus ou moins de fibres musculaires que nécessaire, ou les mauvaises fibres, ce qui résulte en un mouvement lent, imprécis et saccadé.

L’intérêt est évident d’écarter sa conscience du chemin lors d’une tâche exécutive.

Accéder à l’état de Flow nécessite une mise en retrait de la conscience pendant l’activité. La conscience devient un outil de contrôle passif, prêt à reprendre le contrôle en cas de changement essentiel de la situation ou d’erreurs inconnues et majeures d’exécution. Dans le Flow, c’est le subconscient qui est aux commandes : les tâches et les mouvements liés à l’activité en cours sont exécutés « automatiquement ». Pour atteindre ce niveau d’automatisation, il faut évidemment en premier lieu apprendre les compétences nécessaires et, autant que possible, limiter les erreurs d’exécution qui pourraient faire sortir le tireur du flow. L’exécution devrait avoir été drillée proprement.

Lors d’un état de Flow, certaines parties du cerveau sont mises au repos au profit d’autres zones. L’énergie économisée ici est utilisée là. Notre système nerveux priorise totalement l’action en cours. La conscience de soi, le doute et les pensées divergentes disparaissent. La concentration est totale. L’attention fusionne avec l’action. Le temps semble se dilater, s’accélérer ou ralentir, car la zone du cerveau qui sert d’horloge interne est mise au repos. Aucun effort n’est ressenti.

Notre capacité à traiter les informations qui proviennent de l’interne comme de l’externe est décuplée. Comme l’est notre faculté à prendre des décisions rapides et « instinctives » sur la base de ce flux accéléré d’informations et de stimulus.

Quelle est la formule magique pour atteindre le Flow ?

Mettons les choses au clair tout de suite : aucun moyen n’a encore été découvert pour atteindre à coup sûr et à la demande l’état tant convoité.

Les scientifiques utilisent des stimulations magnétiques transcrâniennes pour désactiver certaines zones du cortex préfrontal chez les sujets d’étude afin de faciliter grandement l’accès au Flow. Nous n’avons cependant pas vraiment de recul sur les potentiels effets secondaires de telles pratiques à répétition. Et même ces mesures ne garantissent pas le Flow.

Nous avons en revanche une idée claire des conditions favorisant l’accès au Flow et des obstacles qui entravent son apparition. Les paramètres sont nombreux : état d’esprit, capacité de concentration, distractibilité, charge cognitive, métabolisme sain des neuromodulateurs principaux, hygiène de vie, gestion du stress et de l’ennui, et bien d’autres choses encore. C’est tout cela, la recette d’un accès plus fréquent et plus intense à l’état optimal.

Il est également possible d’apprendre à son cerveau à atteindre le Flow grâce à des appareils à électro-encéphalogrammes couplés à des softwares bien conçus offrant un feedback en temps réel. De telles méthodes ont été utilisées avec succès par les scientifiques du DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) pour optimiser les performances en tir, la vitesse d’apprentissage des compétences et la capacité à détecter des menaces chez des soldats de l’armée américaine.

Chez AlphaTheta, nous développons des modules spécifiques, théoriques et pratiques (tir), afin d’intégrer aux méthodes traditionnelles d’entraînement les principes soutenant le Flow. L’acquisition d’appareils à EEG (électroencéphalogramme) en partenariat avec des firmes de hautes technologies est également au programme. Stay tuned comme on dit.

Avant de partir à la recherche du Graal mental, retenez deux choses :

  • Si, lors d’une activité quelconque, vous en venez à vous demander si vous êtes « en Flow », c’est que vous n’y êtes pas, ou que vous venez d’en sortir !
  • Si vous poursuivez activement et consciemment cet état dans une activité, si vous cherchez à vous appliquer excessivement et consciemment, vous n’avez aucune chance de l’atteindre.

Sources

Jackson, S. A., & Kimiecik, J. A. (2008). The flow perspective of optimal experience in sport and physical activity. In T. S. Horn (Ed.), Advances in sport psychology (3rd ed.) (pp. 377-399). Champaign, IL: Human Kinetics.

The Psychology of Performance (book), Cotterill, 2018

Flow in sports (book), Jackson & Csikszentmihalyi, 1999

The Art of the Impossible (book), Kotler, 2021

The athletic brain (book), Katwala, 2016

Cotterill, S. (2017). Performance psychology: Theory and practice. Routledge/Taylor & Francis Group. https://doi.org/10.4324/9781315736679

The River of Consciousness (book), Sacks, 2017

Anderson, Searching for the flow zone. Australian Pistol Shooters Bulletin Dec. 2018

Larson , Competitive Pistol/Revolver Shooting: Getting Into Your Zone by Understanding Flow

Behneman, Adrienne et al. “Neurotechnology to accelerate learning: during marksmanship training.” IEEE pulse vol. 3,1 (2012): 60-3. doi:10.1109/MPUL.2011.2175641

Behneman, Adrienne & Berka, Chris & Kintz, Natalie & Johnson, Robin & Raphael, Giby. (2010). Accelerating Training Using Interactive Neuro-Educational Technologies. The International Journal of Sport and Society: Annual Review. 1. 87-104. 10.18848/2152-7857/CGP/v01i04/54040.

Berka, Chris et al. “Using Interactive Neuro-Educational Technology to Increase the Pace and Efficiency of Rifle Marksmanship Training.” (2008).

Plus d’articles