Le Flow, un état idéal pour maximaliser la créativité ?

Selon la terminologie scientifique, le flow est un état alternatif de conscience dans lequel on performe le mieux, où l’on se sent le mieux et durant lequel on est totalement absorbé dans l’instant présent. Le terme de créativité nous vient du fond des âges. On en retrouve une trace jusque dans les textes des Grecs anciens.

Sa signification est longtemps restée vague car les processus qui l’entourent sont complexes. Pourtant, la créativité nous est présentée comme LA compétence à posséder ou à développer pour performer dans notre société moderne. Alors, c’est quoi, la créativité ? Les neurosciences sont venues au secours des linguistes. La définition communément acceptée depuis quelques années est la suivante :

La créativité représente la capacité à produire des idées nouvelles et qui ont de la valeur

Lorsque l’on entend « créativité », on pense intuitivement au peintre, au compositeur, à l’écrivain. Pourtant, s’il est évident que les artistes sont directement tributaires de leur capacité créative, ils ne sont pas les seuls à en bénéficier. Le chef d’entreprise qui doit innover pour conquérir des parts de marché, le commandant d’opération qui doit produire un plan d’action dans l’urgence, le webmaster qui doit transformer les désirs abstraits de ses clients en sites web « concrets » … Au fond, c’est un peu tout le monde qui s’enrichit à son niveau d’une créativité développée.

Comment fonctionne la créativité ?

Steven Kotler, dans son livre « The art of the impossible », vulgarise pour nous ce processus complexe :

« En termes simples, ce que nous avons appris, c’est que la créativité est toujours un processus de recombinaison. C’est ce qui se produit lorsque le cerveau intègre des données nouvelles, combine celles-ci avec d’anciennes informations, et utilise les résultats pour produire quelque chose d’étonnamment nouveau. Nous avons aussi découvert que ce processus de recombinaison s’appuie sur 3 réseaux cérébraux superposés : Les réseaux de l’attention, de l’imagination (ou dit du « mode par défaut ») et de saillance. ».

En sachant comment fonctionne ces réseaux et comment les stimuler en parallèle, il est possible d’utiliser des stratégies pour booster sa créativité. C’est un thème qui méritera un développement sur ce blog, mais explorons maintenant la créativité sous le prisme du Flow.

Flow et créativité, un lien de cause à effets ?

Bien que la recherche n’ait pas fini d’explorer ce sujet complexe, il existe déjà des preuves tangibles, bien qu’anecdotiques, qui suggèrent une relation de cause à effet entre l’état de Flow et la créativité.

Dans “Beyond Boredom and Anxiety” et son papier plus récent “Creativity: Flow and the Psychology of Discovery and Invention”, le célèbre psychologue et chercheur Csíkszentmihályi affirme que les caractéristiques du Flow sont étroitement liées au processus créatif. Il y a deux raisons principales sur lesquelles il s’appuie pour affirmer cela.

Premièrement, le Flow favoriserait la créativité par sa capacité à produire une « attention sans effort ». Logiquement, on pourrait penser que plus une activité mentale est exigeante, plus l’effort ressenti est important. Pourtant, lorsque l’on est en Flow, la perception de l’effort s’atténue, jusqu’à disparaître complètement dans les états intenses. La fatigue cognitive est repoussée. Cela permet de maintenir le processus créatif de recombinaison à haute rythme et sur de plus longues durées.

Deuxièmement, en Flow, notre concentration est complète, totale. Cependant, ça n’est pas notre conscience qui est à l’œuvre dans cet acte de concentration en Flow. La conscience se met en retrait pour faire place au subconscient. Elle est maintenue dans un rôle passif, prête à reprendre le contrôle en cas de besoin majeur. On parle ici de « concentration non-forcée ».

Le bénéfice pour la créativité ? Notre subconscient est largement plus efficace lorsqu’il s’agit de traiter des informations ou de les recombiner entre elles. Il permet une association libre des données, plus rapide et sans jugement. Un processus créatif largement accéléré en somme.

Lorsqu’une combinaison semble valable, elle est présentée brièvement à la conscience. C’est le fameux moment « Eurêka ! », la lumière qui s’allume, la solution à votre problème, alors même que vous n’y pensiez pas. Hors du Flow, ceci peut survenir lorsque vous vous promenez, la tête vide, que vous prenez une douche relaxante ou au réveil. Tout le monde a vécu cela. C’est l’œuvre du subconscient, lorsqu’on lui fait de la place. Or, le Flow est l’état éveillé où le subconscient est le plus actif.

En outre, des études ont montré des corrélations significatives entre

  • Les niveaux de flow chez les étudiants en musique et la qualité de leur performance de groupe, mesurée par des évaluations de la créativité.
  • Les niveaux de flow et la créativité de groupe, et la qualité de la performance d’ensemble et le jazz d’improvisation.
  • Les niveaux de flow et les niveaux d’engagement, de plaisir et d’absorption dans le processus d’écriture créative.

À Harvard, d’autres travaux conduits par Teresa Amabile ont montré que les individus bénéficient d’une créativité augmentée pendant plusieurs jours après avoir connu un état similaire au Flow. Amabile a également constaté que les intuitions créatives étaient systématiquement associées à un état de Flow, qu’il soit léger ou intense.

À l’université de Sydney cette fois, les scientifiques ont soumis des sujets à la résolution d’un problème nécessitant une haute créativité : le problème des 9 points. Avant cela, une partie des sujets a été placé artificiellement dans un état altéré de conscience. Celui-ci a été induit par une stimulation magnétique transcrânienne qui visait, pour rester simple, à « étourdir la conscience » et engendrer une hypofrontalité temporaire, c’est-à-dire une réduction temporaire de l’activité de certaines zones du cortex préfrontal telle qu’observée lors du Flow. Le résultat ? 40% de succès en plus parmi les sujets placés dans cet état.

Par ailleurs des recherches menées par le DARPA (une agence du département de la Défense des États-Unis chargée de la recherche et développement des nouvelles technologies destinées à un usage militaire), et Advanced Brain Monitoring, ont utilisé les appareils de neurofeedback pour induire, artificiellement là aussi, un état comparable au flow. Elles ont révélé que les soldats résolvaient des problèmes créatifs complexes et maîtrisaient de nouvelles compétences jusqu’à 490 % plus vite qu’habituellement !

Similitudes des rythmes cérébraux entre le Flow et la créativité

Plusieurs travaux récents ont démontré une concordance entre les rythmes cérébraux observés lors d’un état de Flow et ceux observés lors d’épisodes de haute créativité

Les rythmes cérébraux sont des ondes électromagnétiques émises par les parties du cerveau et mesurables par électro-encéphalogramme (EEG). La fréquence de ces ondes varie selon l’état mental dans lequel on se trouve.

Durant le Flow, les ondes émises se situent à la frontière entre Alpha et Thêta, dans une plage autour de 8Hz. Ces mêmes fréquences sont mesurées lors d’états permettant une créativité amplifiée.

Par ailleurs, il a été démontré par la recherche EEG que l’état d’intuition créative soudaine (le moment « Eurêka ! ») porte une signature électromagnétique particulière : les ondes de type Gamma. Or, les ondes Gamma sont liées directement aux ondes Thêta : Elles n’apparaissent en effet, en parallèle et par intermittence, que lorsqu’un individu se trouve déjà en « Thêta ».

Par conséquent, le Flow peut être considéré comme une zone où nous pouvons accéder à notre subconscient pour prendre des décisions rapides et intuitives. Mais c’est aussi un état où nous pouvons combiner les décisions rapides avec une intuition créative.

Flow = Rapidité de traitement + Créativité optimisée

Pour en savoir plus sur les rythmes cérébraux, c’est par ici.

Similitudes neuroanatomiques entre le Flow et la créativité

Le flow est caractérisé par une hypofrontalité localisée et temporaire, c’est-à-dire une réduction temporaire de l’activité cérébrale dans certaines zones du cortex préfrontal, le siège de notre conscience. Ceci engendre « l’absence du Soi » fréquemment observée lors d’un accès à cet état. La voix critique intérieure qui fait douter, qui ralenti, qui inhibe, est réduite au silence.

Il apparaît que l’hypofrontalité favorise la créativité. Bien qu’encore partiellement spéculative, cette hypothèse s’appuie sur de solides supports empiriques : l’inhibition temporaire du Soi et de la voix critique interne permet une meilleure réceptivité aux idées nouvelles, ce qui est fondamental pour générer des pensées créatives.

Une étude a démontré que l’hypofrontalité induite artificiellement augmentait la capacité de résolution créative des problèmes. Les sujets dans cet état étaient capables de présenter un plus grand nombre de solutions à un même problème et de résoudre les problèmes plus rapidement que les autres.

Similitudes neurochimiques entre le Flow et la créativité

Bien que le Flow ne se résume pas à un pic de dopamine, il est démontré que ce neuromodulateur est le principal moteur lors d’un accès à cet état. La recherche a également établi la forte corrélation entre les niveaux de dopamine et la créativité.

La dopamine est le principal moteur de la motivation. Elle nous pousse à l’action, à accomplir quelque chose. Elle optimise également la capacité de concentration, la performance cognitive ainsi que de nombreux autres paramètres physiologiques. Lorsque notre cerveau est inondé de dopamine, nous ressentons un bien-être profond et nous cherchons à accomplir ce qui a provoqué cet afflux, puis à le reproduire encore et encore.

C’est évidemment la cause de la vaste majorité des addictions. Pourtant, ce mécanisme peut être utilisé pour nous, plutôt que contre nous. C’est du reste sa première raison d’être. Lorsqu’une idée nouvelle et pertinente nous illumine, nous sommes récompensés par un pic de dopamine. Cela pousse notre cerveau à rechercher immédiatement un second pic, puis un troisième, et ainsi de suite. Cet enchaînement peut engendrer l’avalanche d’idées dont nous pouvons être témoin par moment. Il suffit parfois d’une idée nouvelle pour déclencher cette suite grisante.

Il est possible d’utiliser de nombreuses stratégies pour capitaliser sur cette réalité physiologique. En plus, avec le bon état d’esprit, cela fonctionne également lorsqu’une autre personne émet une idée novatrice devant vous. Votre propre cerveau engendre alors un pic de dopamine pour vous pousser, vous aussi, à la créativité ! C’est ce mécanisme qu’exploite un brainstorming bien mené.

Pour approfondir, n’hésitez pas à consulter les sources ci-dessous ou les autres articles du blog.

Sources

Csikszentmihalyi, M. (1975). Beyond Boredom and Anxiety. San Francisco. JosseyBass.

Kotler, S. (2014). The Rise of Superman: Decoding the Science of Ultimate Human Performance. 1st ed. New Harvest.

Csikszentmihalyi, M. 1996 Creativity: Flow and the Psychology of Discovery and Invention. New York: HarperCollins.

MacDonald, R., Byrne, C., and Carlton, L. (2006). Creativity and flow in musical composition: an empirical investigation. Psychol. Music. 34, 292-306. doi: 10.1177/0305735606064838

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Directed by C. Berka. https://www.youtube.com/watch?v=rBt7LMrIkxg: TEDx.

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